Le défi d’un EGalim européen
De la France à la Belgique : la question des pratiques commerciales déloyales sous la loupe
Jeudi 25 juillet, veille de la Foire de Libramont, un Arrêté royal visant à limiter les pratiques commerciales déloyales, en ce compris l’achat en-dessous des coûts de production, a été publié au Moniteur . Ce nouveau mécanisme nous permet de mettre en perspective les mécanismes de protection déjà en place chez nos voisins français, notamment à travers la loi EGalim. Cet article explore le dispositif de la formation des prix dans les contrats d’EGalim. De surcroît, la perspective d’une quatrième révision d’EGalim se profile et la France plaide pour une harmonisation à l’échelle européenne. Se pose alors la question de l’impact réel de la loi EGalim dans les campagnes françaises et les prochaines étapes envisagées pour celle-ci.
Shalom Atchoglo
Stagiaire en économie
Conseil, Analyse et Politique

Qu’est-ce que la loi EGAlim ?
En 2017, les États généraux de l’Alimentation ont vu naître la Loi EGAlim. Une loi dont le but est de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agro-alimentaire et de promouvoir une alimentation saine, durable et accessible à tous. Elle impacte aussi bien le secteur agricole que l’industrie, la distribution et les consommateurs. À ce jour, la loi a été réformée 3 fois en 5 ans.
EGAlim a notamment permis l’émergence des indicateurs de coûts de production dont l’élaboration se base sur des indicateurs de référence (prix des engrais, des semences, des fourrages,…). De plus, elle a permis le développement de la contractualisation en agriculture. Contractualisation qui apporte une certaine sécurité aux producteurs. C’est d’ailleurs aux producteurs de prendre l’initiative de proposer un contrat. Ceci afin que l’agriculteur puisse fixer lui-même la base des négociations (qualité, quantité, prix, responsabilités, etc.).
Bref historique des versions d’EGalim
La première version de 2018, qui pose les bases, a pour objectif de payer le prix juste aux producteurs et de renforcer la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits. EGalim 1 a permis de changer la dynamique, de construire le prix des produits alimentaires en marche-avant, c’est-à-dire à partir des coûts de production des agriculteurs. Elle a donné le pouvoir d’initiative aux agriculteurs grâce à des contrats basés sur les coûts de production et un prix y associé proposé par l’agriculteur. Malgré quelques réussites, la loi a souvent été contournée, victime d’un manque de contrôles et de sanctions.
Afin de pallier ces lacunes, la révision de 2021 a renforcé la contractualisation avec l’obligation de conclure des contrats écrits pour la vente des produits agricoles. De plus, un mécanisme de révision automatique du prix lorsque celui-ci est fixe dans les contrats a été mis en place, sur la base des indicateurs de coûts de production. Les interprofessions ont depuis l’obligation d’établir et de publier ces indicateurs. Cependant, le dispositif a de nouveau été contourné par les distributeurs au travers de centrales d’achats internationales, qui achetaient en gros à plusieurs pays européens dont la France. En procédant de cette façon, ces sociétés n’étaient pas soumises aux lois françaises.
La loi Descrozailles dite EGalim 3, adoptée en mars 2023, cible plutôt l’aval de la filière, avec les négociations entre fournisseurs et distributeurs. Néanmoins, elle vient accroitre la protection des producteurs en mettant fin à l’évasion via les centrales d’achat et en prolongeant l’encadrement des promotions. Ces centrales d’achat internationales sont désormais tenues de respecter EGalim pour les produits destinés au marché français. L’encadrement limite à deux niveaux les pratiques promotionnelles : en valeur et en volume. En clair, les avantages promotionnels ne peuvent pas être supérieurs à 34% du prix de vente au consommateur (interdiction du 1+1 gratuit), ni porter sur une quantité de produits dépassant plus de 25 % du volume déterminé à l’avance dans le contrat.
Pour clore ce chapitre, les responsables politiques ont promis une quatrième révision de la loi suite aux manifestations de ce début d’année. Le premier rapport de consultation des députés désignés est attendu pour la fin de l’été 2024. Cette révision a pour objectifs de renforcer la capacité de négociation des agriculteurs, fluidifier les négociations avec le premier acheteur ; plus globalement d’améliorer les mesures d’EGalim 2 et de veiller à leur application.

Détermination du prix dans les contrats et pondération
Comment sont déterminés les prix dans les contrats ? Au moment de la signature du contrat, le prix est soit déterminé pour plusieurs années, avec l’intégration d’une clause de révision automatique du prix ou alors déterminable annuellement par une formule qui tient compte de plusieurs indicateurs relatifs. Par exemple, Interbev, l’interprofession bovine, propose une formule qui prend en compte un pourcentage : de l’indicateur de coûts de production, des prix du marché et d’un indicateur de qualité (le Label Rouge par exemple).
Ce système est en apparence avantageux. Pourtant, la loi ne définit pas la proportion des coûts de production dans la formule de prix. La proportion étant déterminée entre les parties, la part des coûts de production peut être très variable selon les contrats. Par ailleurs, il est important de mentionner que l’obligation de contractualisation ne s’applique pas pour de nombreuses productions végétales, dont notamment les céréales. Une des raisons étant que le marché des céréales est fortement mondialisé, ce qui complique la mise en place de ce dispositif pour le secteur.
Dispositifs en Belgique
Quels enseignements tirer de cette loi française ? Le fait de baser le prix de vente sur un indicateur de coût de production est à reproduire. Néanmoins, il faut que celui-ci soit une base non-négociable du prix et pas une composante variable du prix. On retient également l’importance des contrats écrits, pour l’application de certaines mesures et la nécessité de travailler au sein des interprofessions sur ces questions.
En Belgique, depuis les manifestations du secteur agricole, plusieurs mesures ont été prises pour un meilleur équilibre dans les rapports entre les agriculteurs et le reste de la filière, on peut citer : l’interdiction du déréférencement abusif, l’interdiction de la vente à perte, le développement d’indicateurs de rentabilité, etc. Les indicateurs de coûts de production, en cours de développement par le SPF économie, en concertation avec la FWA et les organisations professionnelles agricoles, permettront de mieux encadrer la vente à perte. Les premiers indicateurs pour les secteurs bovin et porcin sont attendus pour la fin de l’année 2024.
Perspectives d’un EGalim Européen
Depuis le contournement d’EGalim par les centrales d’achat européennes, les responsables politiques français plaident pour la mise en place d’un EGalim européen. En effet, le Président français Emmanuel Macron avait annoncé, en février dernier, vouloir étendre le mécanisme français à l’ensemble de l’Union européenne afin d’éviter la concurrence déloyale entre pays membres de l’Union européenne. L’intérêt est de renforcer la position des agriculteurs lors des négociations et d’accroitre la durabilité du secteur à l’échelle européenne. Néanmoins, le projet se heurte au principe de la libre concurrence au sein de l’UE. Calquer le mécanisme à l’échelle européenne semble difficile tant les spécificités par Etat Membre sont nombreuses. Un tel projet nécessitera une approche nuancée et adaptée aux réalités locales. Bien qu’imparfaite, la loi EGalim a permis de nombreux apports positifs tels que les outils de régulation. Outre un EGalim européen en tant que tel, tirer des enseignements sur les mécanismes de protection aura un effet bénéfique sur la protection du revenu des agriculteurs au sein de l’Union européenne.
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