De l’importance de voter…
En mémoire d’Irma
Elle s’appelait Irma. Aujourd’hui disparue, elle a témoigné au crépuscule de sa vie auprès des plus jeunes des horreurs vécues dans le camp de concentration de Ravensbrück où elle a été incarcérée plusieurs mois durant la Seconde Guerre Mondiale. Avec un courage indicible, elle était revenue sur les lieux de l’horreur. Son histoire nous rappelle l’importance de poser ses choix dans l’isoloir. Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas ici de faire de la politique, mais de rencontrer l’Histoire!
Ronald Pirlot

Sa photo trône sur mon bureau de la rédaction du Pleinchamp. Certains de mes collègues pensent qu’il s’agit de ma grand-mère. Je n’ai pourtant aucune attache familiale avec Irma Michaux. Je l’ai juste croisée quelques jours d’octobre 2001, lors d’un voyage au bout de la nuit…
La rencontre d’Irma
Jeune journaliste, j’ai eu le privilège d’accompagner, à Berlin, 54 rhétoriciens de Ciney et Dinant pour ce qu’on appelle un voyage de mémoire. Une façon pudique d’évoquer cette plongée dans l’horreur de la barbarie nazie. Un passé pas si éloigné, qui marqua chacun de nos aïeux dans sa chaire.
Dans le car qui nous emmène outre-Rhin, trois visages marqués par les stigmates du temps dénotent dans cette audience largement juvénile. Lucienne, Simone et Irma se présentent comme trois témoins, sans en dire davantage. Au cours d’une banale discussion, j’apprends d’Irma qu’elle est originaire de Profondeville. De fil en aiguille, nous énumérons des connaissances communes. Le visage d’Irma s’éclaire à ces seules évocations. Le lien se tisse avec cette octogénaire discrète qui m’avoue qu’à l’instar de Lucienne et Simonne, elle fut déportée pour faits de résistance.
Arrivée à Berlin, la délégation belge visite les lieux historiques: le Bundestag, la porte de Brandebourg, Check-point Charlie ainsi que le lieu où se trouvait le bunker de commandement d’Hitler. Le lendemain, direction Sachsenhausen, une sinistre bourgade à 30km au Nord de Berlin où les nazis ont expérimenté, dès 1936, l’un de leurs premiers camps de concentration. A peine passé le portique d’entrée affublé du sinistre «Arbeid macht frei», qu’un silence glacial gifle nos visages, faisant résonner à nos oreilles les cris de ceux qui ont péri dans ces lieux, victimes de la plus infâme barbarie.
Direction Ravensbrück
Si Sachsenhausen est méconnu du grand public, il en va tout autrement de Ravensbrück, couramment appelé le «camp des femmes» car exclusivement réservé aux déportées. Parmi les plus célèbres, citons la nièce du Général de Gaulle et Simone Veil.
Situé à 80km au Nord de Berlin, le camp est construit en bordure d’un lac. Pour l’y rejoindre, une allée boisée coincée entre les pavillons résidentiels et le plan d’eau. L’endroit peut paraître bucolique, si ce n’est ces rails qui rappellent rapidement les convois qui acheminaient leurs flots de prisonnières. A mesure que nous approchons, je perçois chez Irma une tension croissante. La peur fige les rides harmonieuses qui tapissent son visage. Au moment de sortir du car, chancelante, elle me demande de pouvoir prendre appui sur mon bras, submergée par les souvenirs. Et c’est ainsi, côte à côté, que nous cheminons tout au long de la visite du camp. «Là, c’était le logement du Commandant», «là, il y avait la place où se faisait l’appel des prisonniers, tous les matins»…. Quelques baraquements subsistent. L’un d’eux renferme les inscriptions des noms de chaque prisonnière. Irma tend le doigt pour montrer le sien.

«Ce n’était pas notre heure»
Et même si elle ne reste «que» 10 mois à Ravensbrück, ses souvenirs sont marqués au fer rouge, narrés à travers une voix saccadée par l’émotion. «De l’autre côté du bois, il y avait l’usine Siemens, où je devais travailler. C’est ce qui m’a sauvée car, logeant dans un camp annexe, cela m’a évité les interminables appels matinaux particulièrement pénibles».
Elle ressasse ses souvenirs. Cette allée pavée que certaines prisonnières devaient inlassablement parcourir avec un sac de 40 kilos sur le dos pour tester la résistance des chaussures destinées aux soldats partis au front. Irma se souvient d’une punition qui lui avait été assignée le soir de Noël 44. «Nous avons dû rester debout de 8 heures du matin à 6 heures du soir dans près d’un mètre de neige. Le thermomètre affichait -37°c. A croire que ce n’était pas notre heure».
Le devoir de témoigner
En ressortant du camp, nous passons devant les sinistres fours crématoires qui jouxtent la toute aussi nauséabonde salle des douches où les prisonnières étaient gazées. L’émotion est à son comble. Le ciel s’est soudainement obscurci et des éclairs fendent l’obscurité. Arrivés au pied du mémorial qui borde le lac, le soleil réapparait. Avec lui, l’espoir. «Tu sais, ce n’est qu’après la chute du mur de Berlin en 1989 et la possibilité de revenir ici, que nous avons commencé à vraiment témoigner. Avant, notre récit paraissait tellement inimaginable que nous avions trop peurs d’être traitées de menteuses».
Aujourd’hui, la voix d’Irma s’est définitivement tue, mais son écho continue à travers ces lignes. A nous de perpétuer sa mémoire, de mesurer la chance qui est la nôtre de pouvoir penser, débattre… et voter en son âme et conscience! A l’heure où les pensées les plus extrêmes guettent un peu partout en Europe, se rendre dans l’isoloir constitue plus que jamais un acte citoyen… Il ne s’agit pas ici de politique, mais d’aller à la rencontre de l’Histoire pour éviter qu’elle ne repasse les plats. Et d’ainsi se dresser face à ceux qui divisent plutôt que de réunir autour de cette belle notion: l’humanisme. En mémoire d’Irma…
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