«De vraies so’loup’tions!» réclamées par les éleveurs beaurinois
Provinces de Namur
Depuis deux mois, les attaques de loup contre des bovins se sont multipliées dans la région de Beauraing. A tel point que la Commune a organisé une séance d’information avec le Réseau Loup et Natagriwal, histoire d’informer les éleveurs sur la situation et les dispositifs de protection possibles. A l’issue d’une soirée pour la moins musclée, les éleveurs estiment qu’ils n’ont reçu aucune réponse satisfaisante en matière de lutte efficace. «On a l’impression qu’à la Région, ils en sont toujours au stade d’observation, tandis que nos animaux, auxquels on tient, se font tuer!»
Ronald Pirlot
Il y avait foule ce vendredi 4 juillet à Beauraing, à tel point qu’il a fallu prévoir une salle plus grande pour contenir les 150 personnes présentes. Parmi elles, une grande majorité d’éleveurs de la région, mais aussi quelques chasseurs, ont répondu à l’invitation de la Commune. «La méconnaissance est toujours source d’inquiétudes. Nous espérons les dissiper en organisant cette soirée d’information» nous explique le Bourgmestre Marc Lejeune.
Un fameux défi vu le climat ambiant, avec des éleveurs particulièrement remontés. Il faut dire que les attaques de loup – 4 sont avérées, 2 sont possibles, 4 sont en cours d’analyse –
se sont multipliées dans la région, à Wancennes, à Revogne, mais aussi à Neuville, Rienne, Sart-Custinne, Wellin et à Léglise.
L’exaspération bien légitime des éleveurs s’explique par leur impuissance face à un animal protégé qui s’en prend en toute impunité à leur cheptel. «C’est quelque chose, vous savez, de vous lever le matin et de découvrir un veau mort et partiellement mangé dans sa prairie. Au-delà d’être notre gagne-pain, nos bêtes, on y est attaché!» déclare Philippe Rabeux, agriculteur à Wancennes particulièrement touché puisque ce ne sont pas moins de 5 veaux et un mouton qui ont été attaqués par un loup en l’espace de deux mois (voir ci-contre).
Constat et indemnisation
Pas facile dans ces conditions pour le coordinateur du Réseau Loup, Alain Licoppe, de faire entendre sa voix. Avec une placidité qu’il convient de souligner, il a replacé le retour naturel du loup dans son contexte, à savoir qu’il existe des zones de présence permanente en Hautes Fagnes, et des loups de passage. Dans le cas d’espèce, il y aurait deux loups différents, l’un à la frontière franco-belge, qui a été vu du côté de Willerzie et Sart-Custinne, l’autre sur le territoire communal de Beauraing. C’est ce dernier qui serait à la base des attaques recensées récemment. S’agit-il d’un mâle ou d’une femelle? Des analyses sont en cours pour dissiper encore pas mal de zones d’ombre, mais elles prennent du temps. «En cas de doute quant à savoir si l’attaque est bien l’œuvre d’un loup, l’éleveur est toujours indemnisé, à condition qu’il possède un numéro de troupeau. Le montant de l’indemnisation est quant à lui fixé par un expert indépendant et prend en compte les frais vétérinaires». A noter que l’état de stress du cheptel n’est quant à lui pas source d’indemnisation, pas plus que la perte éventuelle de fertilité liée à ce stress. Et si l’on se retrouve nez à nez avec un loup? «Il faut rester droit et calme, ne pas s’en aller et continuer à garder un contact visuel. Il va vous regarder puis s’en ira». Et si un éleveur constate le décès d’une de ses bêtes? «Il faut de suite appeler le Réseau Loup (081/626.420) ou contacter le Département Nature et Forêt (DNF) pour effectuer un constat qui doit être rapide vu l’altération des traces ADN à l’extérieur».
Philippe a perdu 5 veaux et 1 mouton!
«La première attaque est survenue dans la nuit du 27 au 28 mai, dans une parcelle située à 800 mètres de mon exploitation. Il s’agissait d’un veau de 180-200 kg. Le loup en a mangé 30kg» déplore Philippe Rabeux, éleveur de bovins de race limousine à Wancennes. Depuis, les attaques de veaux se sont multipliées sur différentes parcelles, la dernière datant d’une semaine. Soit un total de 5 veaux et un mouton tués par le loup. «Et je ne vous parle pas de la nervosité des troupeaux attaqués. J’ai beau me rendre tous les jours dans mes bêtes, elles ne se laissent plus approcher comme avant. S’il me faut mettre 5 fils électriques autour de chaque parcelle, il m’en coûtera 45.000€, remboursés un an plus tard par la Région? Vous voyez le coût pour la Communauté pour quelques loups! On va s’arrêter où? D’autant qu’en tant qu’espèce protégée, on va vers une densification de sa présence chez nous. Vraiment, nous n’en sommes qu’au début des soucis» ajoute l’éleveur, exaspéré.
«La vérité, c’est qu’ils n’ont pas de solution à nous proposer. A partir de quand pourront-ils enfin dire qu’un loup qui s’attaque régulièrement à des ovins et bovins doit être déclaré problématique et, le cas échéant, doit faire l’objet d’une solution létale par des services habilités?» Une option déjà en vigueur en Suisse.
Rappelons toutefois que s’en prendre à un loup, espèce protégée faut-il encore le rappeler, expose l’auteur à une forte amende et à une peine d’emprisonnement.
Philippe Rabeux
Les mesures de protection
Vient ensuite le tour de Mathieu Halford, conseiller en prévention de Natagriwal, pour passer en revue les différentes mesures de protection existantes. Une intervention rapidement interrompue par Philippe Rabeux, venu expliciter le dispositif mis en place par Natagriwal chez lui pour contrer le prédateur. Il s’agissait d’un fil électrique garni de bandelettes de nature à effaroucher le loup. «4-5 jours plus tard, le loup était de retour. Ce n’est pas ça qui va l’arrêter. Il faut arrêter de rire».
«Je comprends votre détresse. Nous ne sommes pas là pour défendre le loup, mais pour vous conseiller et envisager les solutions avec les agriculteurs sur base des expériences menées dans les pays voisins» répond le conseiller, sans se démonter.
Il est ainsi question d’un kit de protection temporaire sous forme d’une clôture prêtée, ainsi que de mesures permanentes par le biais d’une électrification renforcée de la parcelle financée par un subside. Mais aussi de solutions plus expérimentales telles que l’installation d’un collier à l’un ou l’autre bovin qui émet des flashs lumineux et des ultrasons. Son coût : 200€ par animal, sachant qu’il faut en équiper un animal sur sept environ. Las, la Région n’en a encore aucun pour tester éventuellement le dispositif. Une autre solution réside dans l’achat d’un chien de protection, style Patou. Le coût est d’environ 800€. Encore faut-il bien l’éduquer et bien informer le public qu’il est interdit d’entrer dans une parcelle gardée par pareil molosse, sous peine de s’exposer à de graves conséquences si le chien n’a pas été correctement éduqué.
«Je me relève deux fois par nuit pour faire une ronde»
Pierre Lepage, éleveur de Parthenaises à Focant
Pierre Lepage habite à Focant. Il est voisin de Philippe Rabeux. Lui non plus avoue ne plus dormir depuis qu’il est avéré que les veaux de l’exploitation voisine à la sienne ont été attaqués par un loup. «A l’instar de certains de mes confrères, je me relève deux fois par nuit pour faire des rondes. Mais avec la moisson qui arrive, il va bien falloir qu’on dorme un peu! Il ne faut pas s’étonner qu’on soit tous un peu à cran» tempête l’éleveur qui, jusqu’à présent, ne déplore aucune perte. «Quand je vais le matin dans mes bêtes, je les sens hyper-stressées et je constate des ronds labourés, preuve qu’elles se sont défendues face à un agresseur» confie l’éleveur qui déplore le procès que leur font les citadins de Beauraing, enamourés par l’image du gentil petit loup. «On voit que ce n’est pas leur bien qui est attaqué». Quant à la soirée d’information? «Nous expliquer comment faire une clôture, c’est rire de nous! J’ai l’impression d’être face à une équipe qui ne connaît pas son sujet correctement. En tous les cas, ils ne m’ont pas convaincu du tout. En attendant, on doit supporter les castors, les blaireaux, les ratons laveurs, les corvidés… Un oiseau rare pond deux œufs et on suspend le fauchage sur une zone de 75Ha. La prochaine étape, c’est des crocodiles dans la Lesse? Franchement, là, on sature!».
Pierre Lepage
Une assemblée pas convaincue
A l’issue de la soirée, les mines étaient sombres au sein des éleveurs tant l’information dispensée n’a convaincu personne au sein de l’assemblée. Les questions fusaient: «Quel est l’apport du loup, dont on s’est passé de la présence durant 150 ans, dans la biodiversité? Cet apport justifie-t-il les moyens financiers et l’énergie mis en œuvre? En quoi la vie d’un loup a-t-elle plus d’importance que celle du veau qu’il vient de tuer sans vergogne? Où est la question du bien-être de nos animaux dans le cas d’espèce?» Autant de questions restées sans réponses, laissant aux éleveurs la désagréable sensation qu’ils sont les petits chaperons rouges d’une fable dont la morale semble leur échapper.
«Cette répétition d’attaques chez un même éleveur est inédite»
Alain Licoppe, coordinateur du Réseau Loup au SPW
Pour Alain Licoppe, le caractère hors du commun de cette situation réside dans le fait qu’un loup revienne plusieurs fois attaquer des bovins dans une petite zone, qui plus est chez un même éleveur. «Généralement, le loup disparaît très vite». Faut-il croire que le loup, après avoir goûté une fois à la viande bovine, va automatiquement chercher à se nourrir de celle-ci ? «Le régime alimentaire du loup se compose d’ongulés (cerfs, sangliers…), de lièvres et, en petite partie, de moutons, voire plus exceptionnellement de veaux. Pour répondre à votre question, les habitudes de consommation ne sont pas immuables. On a ainsi pu remarquer qu’un loup de passage, en passe de s’établir sur un territoire, reprenait des habitudes alimentaires en lien avec la faune disponible sur son territoire».
Alain Licoppe
Le loup fait fuir les scouts
Parmi les effets indirects de la présence du loup, il en est un pour le moins insoupçonné. Philippe Rabeux devait accueillir des camps scouts. Par honnêteté, il les a avertis de la présence avérée du loup depuis quelques semaines… et tous ont décliné leur venue. Ce que l’éleveur comprend. «Même si on sait qu’il y a très peu de chance pour que survienne une attaque d’un humain, quel parent prendrait le risque d’envoyer son enfant dans une prairie potentiellement visitée par un loup!»
Les chiffres
Depuis la naissance du Réseau Loup, en 2018,
– entre 200 et 250.000€ ont été investis en mesures de protection et
– entre 70 et 80.000€ en frais d’indemnisation.
A quoi il convient d’ajouter les coûts d’analyse ADN et les équipes d’encadrement DEMNA (Département de l’Etude du milieu naturel et agricole) du SPW et Natagriwal.
Toute l’information agricole directement dans votre boîte aux lettres ?