La Criée aux taureaux
entre tradition et modernité
Ce mercredi 19 juin s’est tenue à Ciney la deuxième Criée aux taureaux de l’année du Centre de sélection bovine (CSB) de l’Awé. Un bon cru puisque tous les taureaux ont été vendus, l’un d’eux dépassant même la barre des 6.000€. Mais au-delà de l’aspect commercial, il s’agit d’un rituel de vente qui fleure bon la tradition… tout en lorgnant vers des perspectives de modernisation.
Ronald Pirlot

Adobe Stock / #402319560
Faire du shopping aux Champs Elysées peut sembler une évidence. A ceci près que l’objet du négoce n’est pas le chic parisien, mais bien quelques-uns des joyeux… de l’avenir de la race BBB. C’est en effet sur le site cinacien du Centre de sélection bovine (CSB) de l’Awé que s’est tenue, mercredi passé, la deuxième criée aux taureaux de la race BBB depuis le début de l’année. Face à une centaine d’éleveurs, 12 jeunes taureaux âgés de 14 à 17 mois, attendent sagement, alignés de manière à montrer leur séant à la tribune.
Il est 14h30. Philippe Crépin, responsable de la station CSB, monte sur son perchoir, micro à la main. Le rituel de la Criée peut débuter avec la présentation des 12 taureaux. Nom, origine, âge, taille, poids, efficacité alimentaire, valeur bouchère… Les atours physiques des Géronimo, Cowboy, Courtois, Crusty, Goujon, Ulyss et autre Xénon sont disséqués devant des amateurs particulièrement attentifs. Lesquels, le catalogue de notes attribuées à chaque animal à la main, scrutent attentivement la démarche et les muscles saillants des jeunes taureaux qui repassent plusieurs fois devant leurs yeux.
Stratégie peaufinée
Les présentations effectuées, la vente à proprement parler peut débuter. La mise à prix, fixée par chaque éleveur, débute à 3.300€. Philippe Crépin donne de la voix pour appâter les acheteurs. Un silence lui répond. Les regards se jaugent, lorsqu’une main se lève discrètement. Une autre lui répond. C’est parti, les enchères peuvent débuter. Parfois, elles s’établissent entre deux acheteurs. A d’autres moments, ils sont une poignée à surenchérir, faisant rapidement monter les prix par tranche de 100€, qui devient 200€ à partir de 5.000€. Un engouement qui vaut à Goujon des 3 Frontières, appartenant à Philippe et Nicolas Bechet de Halanzy, d’atteindre le sommet du jour, à 6.200€, acheté par un centre d’insémination italien.
Deux taureaux ne trouvent pas directement acquéreur au premier tour. Qu’importe, ils reviennent à la fin de la séance pour un tour avec, cette fois, des enchères dégressives. La mise de départ est de 500€ supérieure à celle qui prévalait lors du premier tour, et l’on descend par tranche de 100€. Chacun partira pour la somme minimale voulue par le vendeur. Le préposé administratif passe auprès des acheteurs, le bordereau d’achat en main, qu’il fait aussitôt signer. Il est 15h30, tous les taureaux ont été vendus. Rideau, avant la prochaine criée prévue le 16 octobre à 14h. Avis aux amateurs!

L’achat en ligne, une option à l’étude
«Ce fut une bonne criée» conclut Philippe Crépin, en descendant de son perchoir. Allusion tant aux ventes de chaque taureau qu’aux montants des transactions, tournant sur une moyenne de 4.250€ hors frais. Un responsable de CSB qui est en quelque sorte le garant du bon déroulement de ce rituel… qu’il ne souhaite pas immuable. «On réfléchit pour faire évoluer les choses, notamment dans le sens des achats en ligne. Nous avons déjà un acheteur italien en ligne (voir ci-contre). Cela pourrait être une option qui n’est pas exclue, un peu à la sauce de ce qui se passe dans les grandes salles de vente. Maintenant, et même si chaque candidat peut disposer des chiffres concernant les aptitudes de chaque animal, il restera toujours le coup d’œil sur place». C’est là qu’on parvient à décoder l’entièreté de l’animal, en ce compris ces détails comportementaux invisibles à la caméra. Ce petit truc en plus de nature à déclencher un véritable coup de cœur, souvent décisif lorsqu’il s’agit de délier les cordons de la bourse…

Des taureaux suivis à la loupe
Les taureaux proposés à la vente à la Criée sont, à la base, des veaux proposés à l’âge de 6 mois par les éleveurs, sur base de la morphologie et des origines de leurs parents. «On voit s’ils répondent à toutes les conditions sanitaires ainsi qu’à une série de critères» précise Philippe Crépin. Le cas échéant, le veau est gardé au CSB où il est logé et nourri selon une formule «all in». Durant cette période, il fait l’objet d’un suivi méticuleux. Par exemple est calculée son efficacité alimentaire, à savoir la quantité d’aliments secs qu’il lui faut pour produire 1kg de poids vif. Un deuxième tri s’opère à 13 mois. «La principale cause de réforme qui peut survenir à ce stade serait un problème d’aplomb» commente Philippe. Les taureaux retenus font l’objet d’une spermatogenèse ainsi que d’une analyse d’aptitude à la saillie. Si les résultats sont concluants, il sera mis en vente à la Criée. «Ainsi, l’animal proposé présente toutes les garanties de satisfaction pour son futur propriétaire. D’ailleurs, la grande majorité des acheteurs reviennent. C’est bien la preuve qu’ils sont contents».
En ligne directe avec l’Italie
Le GSM rivé à l’oreille, Jean-Marc Guissard (Agent d’Elévéo) écoute les instructions qui lui sont dictées par téléphone depuis l’Italie. «Mon interlocutrice parle parfaitement français. Mais derrière, j’entends que ça discute ferme en italien» sourit-il. Mandaté par un centre d’insémination du Nord de l’Italie qui n’a pu cette fois se déplacer à Ciney, il a reçu des directives très précises. «Ils ont suivi les présentations des 12 taureaux en direct via la connexion filmée que nous avons mis en place . Ils ont jeté leur dévolu sur trois taureaux blancs dont la marche et la taille leur plaisaient». Quand vient le tour desdits taureaux, Jean-Marc relate en direct les montants proposés. Suivant les consignes, il lève la main pour répercuter l’ordre donné de l’autre côté des Alpes. «Au final, ils ont acheté deux des trois taureaux convoités. Ils ont dû baisser pavillon pour le 3e vu que son prix a dépassé la mise qu’il avait fixée».
Des achats qui démontrent l’intérêt portés par les éleveurs étrangers à la race BBB, laquelle s’exporte bien. «Nous avons l’habitude de dire que 40% des ventes de la Criée sont attribués aux éleveurs wallons, 40% à leurs homologues flamands et les 20% restants vont à des opérateurs étrangers ou belges (centres d’insémination…)» précise Philippe Crépin. Une logique dans laquelle s’inscrit cette seconde criée de l’année.
«La nervosité du taureau m’a plu»
Parmi les 12 heureux acheteurs du jour figure cet éleveur hennuyer pour qui il s’agissait d’un grand retour à la Criée de Ciney. «Ça fait des années que je ne suis plus venu ici. Et finalement, avec un voisin, nous nous sommes décidés, sans nécessairement penser que je ferais un achat. Parmi les critères qui m’ont décidé, l’origine et la qualité du taureau… Mais aussi sa nervosité. Pour moi en effet, un taureau plus nerveux fera plus de résultats au sein d’un troupeau. Mais au final, c’est surtout le prix qui dicte l’achat. Ici, je trouvais que c’était de l’ordre du raisonnable. Il va directement partir en troupeau et participera à renouveler le sang du cheptel».
Toute l’information agricole directement dans votre boîte aux lettres ?