L’agriculture biologique en Europe
un pas en avant, trois pas en arrière ?
À l’heure actuelle, 9,9% des surfaces agricoles dans l’Union européenne (UE) sont converties à l’agriculture biologique. Mais dans le cadre de sa stratégie Farm to Fork (de la ferme à la fourchette), la Commission européenne s’est fixé un objectif audacieux: atteindre 25% à l’horizon 2030. Cependant, si le taux de croissance actuel est maintenu, l’agriculture biologique sera à 15% en 2030, largement en-deçà de l’objectif de la Commission[1].
Ségolène Plomteux et Martin Van Kerckhove
[1] European Environment Agency, “European Union 8th Environment Action Programme – Monitoring report on progress towards the 8th EAP objectives 2023 edition”, p. 71.
Ainsi, les parties prenantes se montrent sceptiques concernant la capacité à atteindre cet objectif: diminution du pouvoir d’achat des consommateurs, manque de sensibilisation, manque de compétitivité et de rentabilité de l’agriculture biologique, sont autant de constats qui rendent la transition voulue par l’exécutif européen particulièrement compliquée. Même si la tendance globale reste positive, on remarque quelques faiblesses dans certains pays européens: en Lituanie par exemple, l’agriculture biologique a diminué de 6% au cours de l’année 2023.
L’agriculture biologique, au cœur de la stratégie de la Commission…
En vue de la réalisation de l’objectif des 25% de la stratégie Farm to Fork, l’Union européenne s’est dotée en 2021 d’un plan d’action en faveur de l’agriculture biologique. Ce plan d’action est articulé autour de trois axes: (1) stimuler la demande et assurer la confiance des consommateurs ; (2) encourager la conversion de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique et renforcer l’ensemble des chaînes de valeur et ; (3) améliorer la contribution de l’agriculture biologique à la durabilité environnementale[1].
Dans le cadre de la PAC, l’agriculture biologique occupe aussi une position significative, avec une augmentation notable de la part des terres agricoles de l’UE bénéficiant d’une aide à l’agriculture biologique, doublant par rapport à la précédente PAC.
Ces instruments ont placé l’agriculture biologique au cœur de l’élaboration des politiques européennes. En produisant des aliments de haute qualité avec un faible impact sur l’environnement, l’agriculture biologique contribue au développement d’un système alimentaire durable pour l’UE.
On constate, à l’aide du graphique[2], que la part de la superficie agricole utilisée pour l’agriculture biologique dans l’UE au cours de la période 2012-2021 est en constante augmentation. La Wallonie est plutôt bonne élève: 12% des terres agricoles sont consacrées à l’agriculture biologique (88.593 ha sur environ 740.500 ha).
Cette tendance est néanmoins à mettre en perspective avec les réalités économiques des récentes crises successives.
… mais confrontée aux réalités économiques du secteur agricole
«La demande de produits biologiques ne tombe pas du ciel» a concédé Henri Delanghe, de la direction générale Agriculture de la Commission (DG AGRI), appelant les États membres à prendre des mesures en faveur de la demande de ces produits. Le marché du bio s’est en effet crispé en 2022, conséquence directe de l’inflation ayant entraîné une augmentation des prix. Le consommateur se retrouve donc face à des arbitrages et est moins en mesure de mettre la main au portefeuille. Cet écart des prix entre les produits biologiques et les produits issus de l’agriculture conventionnelle sert souvent de variable d’ajustement dans le budget des ménages.
De plus, peu d’agriculteurs franchissent le pas malgré les aides octroyées par les plans stratégiques nationaux à l’agriculture biologique; certains repassent même en agriculture conventionnelle. Ces phénomènes sont en grande partie liés au manque de marché biologique et à sa faible rentabilité, mais sont également liés aux exigences techniques que requiert l’agriculture biologique et aux coûts liés aux investissements et à la transition de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique.
Si l’on prend l’exemple de la France, sur une période de 8 mois en 2023, 395 exploitations d’agriculture biologique ont disparu. Ces chiffres traduisent une tendance à la baisse qui risque non seulement de ne pas atteindre les 25% espérés par la Commission européenne, mais qui s’éloigne même des 9,9% actuels.
Des mesures plus favorables pour stimuler la demande des produits biologiques
Favoriser la consommation des produits biologiques
Les parties prenantes appellent à un cadre juridique favorisant une transformation profonde du mode de consommation alimentaire et une sensibilisation des consommateurs. Comme le précise Jan Plagge (IFOAM), l’UE doit réussir à prouver que «l’agriculture biologique n’est pas une question de luxe ou de richesse, mais bien une question de santé et d’alimentation durable».
Rendre l’agriculture biologique plus compétitive
La transition vers une agriculture biologique doit garantir une viabilité économique en évitant de réduire le prix des produits issus de cette agriculture. Lone Andersen, du COPA-COGECA, estime que l’agriculture biologique doit être un bon business pour l’agriculteur et lui apporter une bonne rentabilité. Pour cela, elle mise sur la durabilité, l’innovation et un marché compétitif développé.
Dans le droit fil de cette idée, Peter Schmidt (Comité européen économique et social) sollicite des institutions européennes des incitants fiscaux qui permettraient d’une part aux agriculteurs d’entrer dans le processus de transition, et d’autre part aux consommateurs de se tourner naturellement vers des produits biologiques.
Couvrir et impliquer l’ensemble de la chaine d’approvisionnement
Henri Delanghe souligne qu’il est également important que le cadre juridique implique l’ensemble des acteurs de la chaine d’approvisionnement, y compris les détaillants et les grossistes. Ils ont en effet un rôle à jouer dans la mise en vente des produits biologiques.
Une prise de conscience politique comme étape préalable nécessaire
Les politiques qui entourent la stratégie Farm to Fork sont certes ambitieuses; mais ne serait-il pas plus judicieux de se doter de politiques plus adaptées aux revendications des parties prenantes pour rendre l’agriculture biologique davantage accessible aux consommateurs et aux producteurs?
Martin Dermine regrette l’absence d’impulsion politique réelle pour faire de l’agriculture biologique une pratique plus répandue. C’est pourtant par là qu’il faut commencer: les élections de juin sont en ce sens un catalyseur pour l’avenir de l’agriculture biologique.
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