Premiers pas hésitants à la tête de l’UE
Ambiance tendue au sommet de la hiérarchie européenne
Des votes différents aux élections européennes et nationales risquent d’être sources d’instabilité dans la conduite des affaires européennes. De premières indications émergent cependant pour l’agriculture, selon les résultats du dialogue stratégique sur le secteur engagé voici un an.
Richard Cydzik
C’est peu dire que l’ambiance est particulièrement tendue au sommet de la hiérarchie européenne depuis la rentrée de ce mois de septembre. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en abrégé VDL, était confrontée à la nécessité de confectionner sa nouvelle équipe – ou plutôt de répartir les attributions et compétences en son sein. Ses membres ont en effet été désignés par les gouvernements, en ne suivant pas nécessairement la demande de VDL de lui soumettre un candidat de chaque sexe dans le but de former une équipe la plus paritaire possible. La Belgique a, on le sait, désigné Hadjah Lahbib, à la grande déception de son prédécesseur Didier Reynders. Car respecter des équilibres implique des choix douloureux et celui des genres est loin d’être le seul. En effet, la représentation politique sera différente au sein des trois institutions, le Parlement certes, mais aussi le Conseil et la Commission.
Risques d’instabilité
Il faut se souvenir que les élections européennes de juin ont fait ressortir l’émergence de partis de la droite radicale, focalisés sur les intérêts nationaux, « europhobes » et dénonçant l’écologie punitive. Les partis de centre droit rassemblés au sein du PPE sont sortis légèrement renforcés, les sociaux-démocrates (SD) ont été affaiblis, mais surtout les libéraux (Renew) et les Verts ont accusé une forte chute. Néanmoins, PPE, SD, Renew et Verts se sont alliés pour reconduire Ursula VDL à la tête de la Commission avec une avance de 41 voix. Mais il y a un « mais »: au contraire des européennes, diverses élections nationales ont plus fortement affaibli les sociaux-démocrates. De sorte que ceux-ci ne seront plus représentés que par 5 Commissaires (malgré leurs 19% d’élus au Parlement au même rang que les libéraux avec 11% d’élus). Il va de soi que la différence entre la composition politique au sein des trois institutions est une source potentielle d’instabilité. Quid en cas de proposition jugée trop à droite? Ou surtout, pour ce qui concerne l’agriculture, d’un manque d’engagement pour le Pacte Vert, notamment dans le domaine agro-alimentaire? Avec 7% d’élus, les Verts sont à même de menacer l’investiture de la nouvelle Commission…
Choix cornélien
Il est d’ailleurs de moins en moins douteux que c’est du côté climato-environnemental que VDL aura à affronter des problèmes ardus, car il semble inévitable qu’elle doive revoir à la baisse les ambitions initiales du Pacte vert. Non seulement en agriculture du reste, mais sur de nombreux domaines industriels et commerciaux. Nous sommes les témoins directs en Belgique, avec la fermeture programmée de l’usine Volkswagen-Audi à Forest, du désastre menaçant l’industrie automobile européenne que la technocratie de l’UE a voulu contraindre de se convertir à marches forcées à la voiture électrique. Renonçant ainsi à la voiture thermique , domaine où elle possède un avantage technologique historique majeur, comme en témoignent les compétitions de Formule 1 où les Chinois ne sont pas en mesure de participer, faute d’être techniquement à la hauteur. En maintenant les obligations actuelles de réduction progressive, mais draconienne, des émissions de CO²/km, avec pour 2035 l’interdiction de vendre des véhicules thermiques neufs, on imagine le cataclysme social auquel s’expose l’Union. Un magistral exemple d’écologie punitive, laquelle représente du reste l’une des raisons de la victoire des droites radicales lors des élections de juin dernier.
Prudence en agriculture
La Présidente von der Leyen serait-elle disposée à rééditer le même type d’erreur en agriculture? Elle apparaît plus prudente. Ne fût-ce que parce que – alertée notamment par d’inquiétants résultats électoraux aux Pays-Bas – elle a eu la sagesse de prévoir, avant de s’engager plus avant dans la mise en œuvre du Pacte vert, l’organisation d’un dialogue stratégique préalable sur le secteur. Votre Pleinchamp a fait état de ses résultats dans l’édition de la semaine passée: on y constate la recherche presque acrobatique d’un équilibre entre l’agriculture et l’environnement, ce qui est somme toute naturel étant donné que tous les groupes d’intérêts participaient au dialogue. En gros, l’objectif d’une transition vers une agriculture plus compatible avec les enjeux climato-environnementaux est maintenu, la bonne nouvelle étant qu’un fond spécifique indépendant du budget PAC devrait être créé pour aider au financement de ladite transition. Toutefois, globalement, nombre d’experts et observateurs considèrent que le rapport donne la priorité à la protection de l’environnement par rapport à la production de denrées alimentaires. Celle-ci ne devant en revanche faire l’objet d’aucun soutien ni encadrement spécifique. Contrairement aux systèmes élaborés existant dans les autres grands pays producteurs, Etats-Unis, Russie, Chine, Japon…
Premier test en novembre
Le rapport plaide aussi pour davantage de cohérence entre les politiques commerciale et environnementale de l’UE. Un premier test à cet égard aura lieu à l’occasion de la réunion du G20 à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre prochains: les pays du Mercosur, ainsi que la Commission européenne entendent y boucler enfin le fameux accord avec l’Union facilitant les échanges, notamment agricoles, entre les deux parties. Les organisations agricoles de l’UE (Copa) stigmatisent l’hypocrisie des dirigeants européens: «mis sous le boisseau pendant longtemps, l’accord avec le Mercosur est de retour au menu maintenant que les élections sont passées». Et de rappeler les périls que ferait peser ce texte (réclamé par l’industrie, notamment automobile, pour une région où les voitures thermiques circulent sans problème) pour des secteurs agricoles déjà fragilisés comme la viande bovine, la volaille, le riz ou le sucre et l’éthanol. On pourra juger de la détermination européenne à imposer des clauses miroirs aux importations agricoles des pays tiers.
Calendrier
En attendant, le processus complexe vers l’investiture de la nouvelle Commission suit son cours. Le 17 septembre (soit après la rédaction de ces lignes), VDL devrait avoir présenté les nouveaux Commissaires et surtout leurs attributions. Les auditions de ces derniers devant le Parlement pourraient dès lors s’amorcer dès le mois d’octobre. Si aucune candidature n’est remise en question (ce qui arrive régulièrement, pour des raisons diverses: manque d’éthique, incompétence…), le PE devrait voter en plénière l’investiture de l’ensemble de la Commission (fin octobre ou novembre). La nouvelle Commission devrait entrer en fonction au plus tard le 1er décembre. Dans les cent jours qui suivent, la Présidente devrait, selon sa promesse, présenter une «feuille de route, sa vision pour l’agriculture». Un prélude en quelque sorte puisqu’à la mi-2025, la Commission devrait faire part de son projet pour la PAC 2028-2035.
Le Luxembourgeois Hansen commissaire à l’Agriculture
Ségolène Plomteux,
Conseillère en Politiques européennes,
Conseil, Analyse et Politique (CAP)
Ursula von der Leyen a dévoilé à Strasbourg, ce mardi 17 septembre, le casting de son Collège de Commissaires. Le Luxembourgeois Christophe Hansen, du parti Parti chrétien social luxembourgeois inclus dans le groupe du Parti Populaire Européen (groupe de centre droit conservateur, dont la Présidente de la Commission Européenne est issue), a été désigné comme commissaire à l’Agriculture et l’Alimentation. Il venait d’être élu en tant qu’Eurodéputé. Il aura notamment la charge de proposer une vision pour l’agriculture dans les 100 premiers jours de son mandat.
Jessika Roswall, ministre suédoise sortante en charge des Affaires Européennes et coopération Nordique du Moderate Party, faisant aussi partie du groupe du PPE, a été désignée comme commissaire européenne à l’Environnement et à la Résilience concernant l’eau.
Chaque commissaire sera entendu par le Parlement européen pour que sa désignation soit ratifiée par ce dernier. Plus d’informations dans le prochain Pleinchamp.
© European Union 2024 – Source EP
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