Semer le changement:
pourquoi l’Europe a besoin de la voix des agriculteurs?
Du 6 au 9 juin prochain, 400 millions d’électeurs européens décideront de notre avenir commun. Ces élections interviennent dans un contexte géopolitique particulier et nécessitent plus que jamais une action coordonnée au niveau européen, notamment en matière d’agriculture.
Ségolène Plomteux et Martin Van Kerckhove, stagiaire en Droit européen

À l’occasion de la publication du rapport d’activités de la période 2019-2024 de la COMAGRI (Commission de l’Agriculture et du Développement rural), on vous propose de revenir sur ses missions et son rôle crucial en matière d’agriculture, mais également de revenir sur le poids des institutions européennes dans les politiques agricoles et de rappeler pourquoi il est important d’aller voter le 9 juin.
La COMAGRI, quésaco?
La Commission de l’Agriculture et du Développement rural (COMAGRI) est un organe de travail du Parlement européen composé de 47 députés européens et de 43 membres suppléants. Elle élabore, amende et adopte des propositions législatives de la Commission ainsi que des rapports d’initiative. Son mandat est axé sur l’élaboration de la Politique Agricole Commune (PAC) ainsi que des politiques de l’Union concernant le développement rural, la santé et le bien-être des animaux, la santé des végétaux, l’amélioration et la qualité des produits agricoles, l’approvisionnement en matières premières agricoles ainsi que la sylviculture et l’agroforesterie.
Les pouvoirs et les responsabilités du Parlement européen ont significativement augmenté depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, en 2009, puisqu’il décide en effet sur pied d’égalité avec le Conseil de l’UE (composé des ministres nationaux de l’agriculture) sur la PAC: c’est le mécanisme de codécision. Le Parlement a donc un rôle important à jouer dans l’élaboration des politiques agricoles.

Le Parlement contrôle la Commission
Le Parlement européen a un pouvoir de contrôle important sur la composition de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne (on peut parler de «Gouvernement» composé de «ministres»). Le Parlement joue un rôle essentiel dans la légitimation démocratique de cette institution exécutive de l’UE. En effet, il:
– Approuve le choix du Président de la Commission: réunis au sein du Conseil européen, les chefs d’état ou de gouvernement proposent un candidat pour le poste de Président de la Commission européenne. Ce choix tient compte des résultats des élections européennes et des consultations avec le Parlement européen. Lequel doit ensuite approuver ce candidat à la majorité absolue (la moitié des membres plus un) ;
– Auditionne des Commissaires: les candidats commissaires proposés par les États membres sont auditionnés par les commissions parlementaires compétentes du Parlement européen.
– Approuve la Commission: le Parlement vote pour approuver ou rejeter l’ensemble de la Commission (Président et Commissaires). Si elle est rejetée, un nouveau processus de nomination doit être entamé.
Le Dialogue stratégique d’Ursula
Actuellement, la Présidente de la Commission européenne est Ursula von der Leyen. Elle a pris ses fonctions le 1er décembre 2019 et est issue du Parti populaire européen (PPE), qui est une coalition politique de centre-droit (voir ci-dessous).
La Commission est la seule institution de l’UE qui peut proposer des actes législatifs (directives, règlements, décisions) ainsi que des politiques et des programmes dans divers domaines tels que l’économie, l’environnement, la sécurité, la santé… Elle établit donc les priorités et les stratégies.
Durant le mandat actuel, la gestion des questions agricoles a évolué de manière significative. Initialement marquée par une approche dogmatique et descendante, symbolisée par le programme «Farm to Fork», cette méthode a rapidement montré ses limites en l’absence d’évaluation et de réflexion sur sa mise en œuvre. En septembre 2023, Ursula von der Leyen a reconnu ces lacunes et lancé un «Dialogue stratégique pour l’avenir de l’agriculture», actuellement en cours à Bruxelles. Néanmoins, de nombreuses questions n’ont pas trouvé leur réponse et resteront des enjeux majeurs pour la prochaine Commission européenne. Pour être efficace, ce changement de méthode doit être poursuivi, en évitant toute polarisation stérile qui pourrait faire perdre un temps précieux.
«Que font nos députés européens?»
Le Parlement européen est actuellement composé de 705 députés. Pour la nouvelle législature, le Parlement en comptera 720. Chaque pays reçoit un nombre de députés selon la taille de sa population. Comme la Grèce, la Hongrie, le Portugal, la République-Tchèque et la Suède, la Belgique compte actuellement 21 députés. Elle en comptera 22 après les élections de juin.
Les députés rejoignent au moins une des commissions de travail permanentes. Trois députés belges font partie de la COMAGRI: Benoît Lutgen (membre suppléant, Engagés/PPE), Tom Vandenkendelaere (membre suppléant, C-D&V/PPE) et Hilde Vautmans (membre suppléant, OpenVLD/Renew).
Les députés peuvent prétendre à d’autres rôles, comme celui de rapporteur. Chaque commission va, dans le cadre de l’étude d’un texte de loi, nommer un député rapporteur. Il accompagne un texte tout au long du processus législatif. Son rôle est donc très important puisque c’est lui qui présente les travaux de la commission aux autres députés lors de l’assemblée plénière.
Un autre rôle important est celui de rapporteur fictif. Il représente son groupe politique tout au long du processus, en participant aux négociations avec les autres groupes politiques et en travaillant avec le rapporteur principal pour trouver des compromis acceptables.
De plus, chaque groupe politique peut désigner un coordinateur pour avoir un porte-parole au sein de la Commission parlementaire. Ce député est responsable de préparer les décisions de la commission, de mobiliser les membres de son groupe pour les votes importants et de coordonner les actions pour assurer la cohérence des positions politiques au sein de la commission. Une fois élus, les députés se répartissent non pas en fonction de leur nationalité, mais se regroupent par affinités politiques.
Où siègent les eurodéputés belges francophones ?
Si l’on présente de gauche à droite, le PTB intègre le parti Gauche radicale, les membres du PS siègent dans le groupe politique S&D, Ecolo fait partie du groupe Greens-EFA, les députés MR siègent dans le groupe Renew, et Les Engagés dans celui du PPE (Parti populaire européen).
Le président du mouvement des Engagés, Maxime Prévot, a récemment affirmé que son groupe pourrait quitter le PPE au vu des divergences de point de vue sur certains sujets. En matière d’environnement et de climat par exemple, le PPE avait voté contre la loi sur la Restauration de la nature, alors que Benoit Lutgen (PPE/Engagés) avait dévié de la ligne de groupe et s’était rangé au côté des défenseurs du texte. Dans l’interview accordée au Soir, Maxime Prévot a concédé: «nous sommes le parti au sein du PPE dont les votes dévient le plus de ceux de la ligne globale» et qu’il n’était pas exclu de rejoindre un autre groupe politique tel que celui des démocrates européens (Renew).

«Pourquoi aller voter le 9 juin ?»
Comme expliqué précédemment, la COMAGRI joue un rôle crucial dans l’élaboration des politiques européennes en matière d’agriculture. Pour la FWA, et plus largement pour les acteurs du secteur agricole, il est essentiel de maintenir des points de contact au sein de la COMAGRI et ce, pour plusieurs raisons :
- Faire entendre les revendications agricoles : avoir des points de contact au sein de la COMAGRI permet en effet aux acteurs agricoles de faire connaître leurs préoccupations, leurs besoins et leurs revendications aux décideurs politiques (notamment via le COPA-COGECA). Dans le domaine de l’agriculture, les députés de la COMAGRI ont été parmi les premiers à soulever les préoccupations et les questions de la communauté agricole et forestière, en jouant le rôle d’intermédiaire et en modérant de nombreuses propositions de la Commission européenne. Ainsi, en maintenant des relations avec ses membres, les acteurs agricoles peuvent influencer le processus décisionnel en fournissant des informations, des arguments et des suggestions qui peuvent façonner les propositions législatives et les politiques finales.
- Accéder à des informations et des ressources : les membres de la COMAGRI ont accès à une variété d’informations, de données et d’expertises sur les questions agricoles et rurales. En maintenant des contacts au sein de cette commission, les acteurs agricoles peuvent bénéficier de ces ressources pour mieux comprendre les enjeux, les tendances et les développements dans le domaine agricole.
- Place géostratégique de l’Europe: au cours du prochain mandat et dans le contexte géopolitique actuel, l’agriculture est un secteur-clé qui permettra d’assurer la souveraineté européenne. Sans cette souveraineté, l’UE ne pourra pas s’affirmer pleinement dans le monde et restera dépendante d’autres grandes puissances. L’agriculture doit donc retrouver une place stratégique au cœur de la réflexion européenne.
La prochaine législature devra répondre à un nombre de défis cruciaux pour notre avenir, notamment l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, le renouvellement des générations d’agriculteurs, les défis du changement climatique et de la biodiversité, la sauvegarde de notre modèle agricole pour assurer notre sécurité alimentaire, et la garantie de la cohérence de nos politiques commerciales et du marché intérieur.
Plus encore qu’hier, il est essentiel que les agriculteurs européens s’impliquent et votent, afin de donner une forte légitimité aux mesures prises et de garantir que la voix des acteurs du monde agricole soit entendue au sein des prochaines formations des différentes institutions européennes.
Donnons l’impulsion politique qui permettra de changer le paradigme agricole à Bruxelles !
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