Une deuxième Commission von der Leyen

Les nouveaux eurodéputés reconduisent Ursula Von Der Leyen

Beaucoup d’interrogations alors que s’engage le deuxième mandat de Ursula von der Leyen à la tête de la Commission. Les plus capitales pour les agriculteurs sont l’avenir effectif du Pacte vert et les négociations en vue de l’adhésion de l’Ukraine qui ont officiellement commencé le 25 juin.

Richard Cydzik

ursula

©Dati Bendo – European Union 2024

Voilà plus d’un mois que les élections européennes ont eu lieu et que l’Union continue son petit bonhomme de chemin, comme si de rien n’était. Les « vacances » et la traditionnelle torpeur estivale ne justifient cependant pas toutes les inerties. Le vote du 9 juin dernier a tout de même fait émerger une dangereuse vague d’euroscepticisme. Qu’il ne faudrait pas confondre, comme le font trop rapidement certains, avec de l’europhobie. Comme le rappelait le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, à l’occasion du Salon agricole de Paris (et des manifestations qui l’entouraient), les agriculteurs « n’expriment pas leur opposition à l’Europe, mais bien à l’Union telle qu’elle fonctionne actuellement« , avec une bureaucratie non élue toute puissante – la Commission – accouchant de normes en voici en voilà. Et un Parlement confiné, sauf exceptions (comme l’élection à vote secret le 18 juillet du président de la Commission, ou des validations budgétaires) aux palabres sur des sujets accessoires, aboutissant la plupart du temps sur de nouvelles normes.

Décrochage

Telle n’est pourtant pas, vraisemblablement, la structure idéale pour que l’Europe soit en mesure de relever le redoutable environnement économique international actuel. L’ancien Premier ministre italien, Enrico Letta, chargé d’une mission exploratoire pour l’UE, a constaté avec consternation le décrochage considérable de celle-ci avec les économies les plus fortes du monde. « Les Etats-Unis et la Chine avancent beaucoup plus vite que nous, de façon structurelle, et l’Inde nous rattrape si vite qu’elle a commencé à mettre son clignotant pour nous doubler ». Les dirigeants de l’Union s’abstiennent bien de préciser, comme le font la Banque mondiale et le FMI, que la Russie elle-même est en passe de devenir la cinquième économie de la planète et qu’elle a depuis peu rejoint le club très fermé des « pays à revenu élevé ». Pendant ce temps, relève l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi, le revenu moyen par habitant au sein de l’UE est devenu 27% inférieur à celui des Etats-Unis.

Relance possible?

Idéalement, le meilleur signal pour une relance des économies européennes serait un retour à la paix en Europe, en l’occurrence dans le conflit russo-ukrainien. Il conviendrait en principe de saluer les efforts dans ce sens de la présidence tournante hongroise du Conseil de l’UE plutôt d’ironiser à leur sujet, de les condamner et d’assister avec passivité à la poursuite des combats. Une cessation des hostilités entraînerait probablement une baisse du prix de l’énergie (qui est en Europe la plus chère au monde) et d’autres matières premières, un facteur-clé pour regagner la compétitivité perdue en raison de la politique de sanctions.

Pacte vert

Secteur stratégique entre tous concernant toutes les familles qui y travaillent directement ou indirectement, l’agriculture sera confrontée aux énormes pans qui subsistent du Green Deal, même si nombre d’entre eux ont été considérablement atténués (restauration de la nature), voire abandonnés (glyphosate). Mais de féroces empoignades s’annoncent. Selon toute vraisemblance, la nouvelle présidence de la Commission devra tenir compte des priorités des principaux partis qui ont émergé des élections. En premier lieu les démocrates-chrétiens du PPE qui ont abandonné leur credo écologiste pour s’affirmer comme « parti des agriculteurs ». Le PPE souhaite des clauses de révision des législations déjà adoptées, notamment une renégociation de l’objectif climatique 2040. Cette révision pourrait s’étendre à la diminution programmée de l’utilisation des produits phyto ou des engrais de synthèse. Le PPE place en gros l’allègement du fardeau pour les entreprises agricoles avant tout impératif environnemental. Au grand dam bien sûr non seulement des écologistes, mais surtout du puissant groupe social-démocrate du SD. Quant aux libéraux centristes de Renew, leur position est plus flexible, appuyant à la fois le Pacte vert et un soutien compensatoire des agriculteurs. Quasi tous les groupes politiques se disent opposés aux accords de libre-échange, à l’origine de concurrence déloyale pour les agriculteurs.

Réélection de von der Leyen

Ainsi qu’on l’attendait, Ursula a été reconduite à la tête de l’Exécutif de l’Union. Une majorité légèrement plus large qu’il y a cinq ans. Les spéculations ont été bon train sur la provenance des voix en sa faveur, sachant que nombre de parlementaires de son propre parti ne la portent pas dans leur cœur. Mais il semble assuré que nombre de voix écologistes ne lui ont pas fait défaut, ni non plus celles d’une grande partie de l’extrême gauche. Ce qui n’est bien sûr pas de bon augure pour les agriculteurs: dans son discours préalable au vote, la présidente réélue a déclaré que sa feuille de route pour les cinq prochaines années sera centrée sur l’économie, mais « toujours vue à travers le prisme du climat ». Autrement dit, réduction de 40% des émissions carbone d’ici 2040 et « neutralité totale à l’échéance 2050 ». Avec certes quelques accents sur le revenu agricole, le discours contenait surtout des engagements financiers réitérés en faveur de l’Ukraine. C’est évidemment le citoyen européen qui sera mis à contribution pour ces engagements, en Belgique notamment, déjà astreinte à un régime d’austérité rigoureuse puisqu’elle va faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif. La Commission peut en fait dilapider les montants qu’elle souhaite en faveur de l’Ukraine, puisqu’in fine c’est le contribuable européen qui en assumera le coût.

Le brouillard de l’adhésion ukrainienne

Le calendrier pour l’agriculture prévoit qu’une proposition de règlement sur la PAC post-2027 devrait être présentée pour la mi-2025. Les observateurs considèrent que les conclusions du Dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture, lancé début 2024 avec les interlocuteurs du secteur, pourraient servir de base à la nouvelle PAC. Mais qu’en sera-t-il effectivement du Pacte vert? Et de l’adhésion future de l’Ukraine? Un marché agricole unifié incluant ce pays risquerait fort de porter un coup fatal à la PAC et aux familles qui en vivent. Pour le patron du puissant syndicat agricole allemand (et ancien président du Copa) Joachim Rukwied, « le résultat serait finalement, mais inévitablement, la disparition de l’agriculture familiale en Allemagne et en Europe« . D’ores et déjà, les exportations ukrainiennes de sucre dans l’UE sont passées de 20.000 tonnes avant la guerre, à 700.000 tonnes en 2023/2024. Une série de taxes va du reste être réinstaurées à l’entrée de divers produits sensibles, d’autant qu’ils sont loin de répondre aux standards européens, notamment en matière de pesticides. En tout état de cause, les négociations pour l’adhésion de l’Ukraine ont officiellement commencé le 25 juin. La plupart des experts considèrent que la PAC va s’en trouver « chamboulée » et la réforme en profondeur qu’elle connaîtra sera d’une ampleur inégalée depuis sa création. C’est dire que l’agriculture européenne et l’Union elle-même joueront leur destin dans lesdites négociations.

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